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Sarah Brahim remonte ses souvenirs dans un maelström de gestes et de sons

Elle était danseuse avant de venir à l’art, et cela se ressent à chaque pas dans Sometimes We Are Eternal (« parfois nous sommes éternels »), première exposition personnelle de l’artiste américano-saoudienne Sarah Brahim, 32 ans, que l’on avait pu découvrir à la dernière Biennale de Lyon, ici portée et accueillie par la Fondation Bally, sur les rives du lac de Lugano (Suisse).
Le titre est emprunté à une formule de Spinoza : « Nous sentons et nous éprouvons que nous sommes éternels », à laquelle le philosophe Alain Badiou a ajouté l’adverbe « parfois ». Elle désigne cet état de conscience où la sensation d’être relié à l’Univers et au temps infini l’emporte un instant, dans le bruit du monde. Ce sont ces secondes d’éternité que l’artiste explore, avec une délicate virtuosité, à travers dix nouvelles installations, et un parcours en autant d’étapes, partitions et variations sur sa présence au monde.
Si le paysage, naturel ou urbain, est un lieu d’ancrage privilégié dans le travail vidéo et photographique de Sarah Brahim, l’élégante villa Heleneum, qui abrite la fondation, se mue pour l’occasion en écrin épuré. Tout détail domestique a été évacué : des sols blancs et brillants éclipsent les parquets, des filtres apposés sur les vitres donnent une transparence laiteuse à l’espace. L’environnement a été rendu abstrait comme une « salle de danse, mentale, résiliente, lumineuse », souligne la commissaire et directrice des lieux, Vittoria Matarrese, offrant au visiteur un sentiment d’incertitude spatiale.
Une épure qui cultive des connivences intimes, puisque la villa, tournée vers la nature et les miroitements du lac, a été construite par une danseuse, dans les années 1930. « On poursuit nos fantômes ! », relève Vittoria Matarrese, dont la programmation s’ancre dans l’esprit du lieu.
Pour cette exposition à fleur de peau et d’âme, tout à la fois sobre et hautement émotionnelle, l’artiste a choisi de reparcourir les dix dernières années de sa vie, qui la séparent de la mort de sa mère. Soit la construction d’un nouveau rapport au monde depuis un arrêt personnel du temps, qu’elle a capté de multiples façons, auscultant le sentiment d’infinitude à travers des dispositifs mêlant différentes couches temporelles, entre traces et immanences.
Certaines expériences mettent la focale sur les liens qui relient les êtres, comme avec l’installation intime qui ouvre le cheminement, où l’on assiste au transfert d’impulsions physiques entre l’artiste et son père sur deux petits écrans en noir et blanc : d’un côté, ses mains à lui frottent deux pierres l’une contre l’autre pour produire une étincelle ; de l’autre, son corps à elle donne un écho dansé à cette cadence, qui ressemble in fine à celui de battements de cœur, parfois accordés, parfois irréguliers, qui coexistent dans un moment partagé.
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