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Sénégal : des heurts en marge d’une manifestation contre le report de la présidentielle ; l’ancienne première ministre arrêtée

Les gendarmes sénégalais ont dispersé à l’aide de gaz lacrymogène, dimanche 4 février, à Dakar, des centaines de personnes venues manifester contre le report de la présidentielle, avant d’essuyer des jets de pierres, ont constaté les journalistes de l’Agence France-Presse (AFP). Ces heurts sont consécutifs à l’annonce, samedi, par le président, Macky Sall, du report de la présidentielle prévue le 25 février.
A la suite de cette décision sans précédent, qui a suscité un tollé, l’opposition avait appelé à manifester dans la capitale sénégalaise dimanche et à maintenir la campagne électorale comme prévu. Des hommes et des femmes de tous âges, agitant des drapeaux du Sénégal ou portant le maillot de l’équipe nationale de football, ont convergé en début d’après-midi vers un rond-point sur l’un des axes routiers principaux de la capitale, à l’appel de plusieurs candidats.
Les gendarmes, déployés en nombre, ont déclenché un tir nourri de gaz lacrymogènes pour les disperser. Puis ils se sont enfoncés à pied ou en pick-up dans les quartiers adjacents à la poursuite des manifestants en fuite. Ils ont alors essuyé de nombreux jets de pierres.
Des jeunes scandant « Macky Sall dictateur ! » ont entrepris de dresser des barrages de fortune. « Nous sommes sortis pour dire non à cette forfaiture, non à ce coup d’Etat constitutionnel », a déclaré à l’AFP l’un des manifestants, Demba Ba, 36 ans. L’un des candidats à la présidentielle, Daouda Ndiaye, a posté sur les réseaux sociaux un message où il assure avoir été « brutalisé » par les forces de l’ordre, et affirme que certains de ses collaborateurs ont été « arrêtés ».
Les autorités ont suspendu le signal de la télévision privée Walf TV, coupable selon elles d’« incitation à la violence » à la suite de la diffusion des images des protestations. Le groupe Walf a annoncé sur les réseaux sociaux un « retrait définitif de sa licence par l’Etat ».
Après la décision de M. Sall, l’opposition a immédiatement décidé de se mobiliser. « Nous rejetons systématiquement le décret [reportant la présidentielle]. Nous donnons rendez-vous ce dimanche à tous les Sénégalais pour une marche » à Dakar, a déclaré samedi Cheikh Tidiane Youm, un porte-parole du camp de l’opposition, au micro de la radio privée RFM.
« Nous nous sommes réunis et entendus pour nous rassembler à partir de 15 heures pour démarrer notre campagne [électorale] de façon collective », a également affirmé, sur la même radio, Habib Sy, l’un des vingt candidats qui devaient participer au scrutin reporté. « Toutes les forces vives de la nation doivent s’organiser, agir et obtenir la restauration du calendrier républicain », a écrit pour sa part l’intellectuel Felwine Sarr dans une tribune.
L’opposant sénégalais Khalifa Sall, un des principaux candidats à la présidentielle, a appelé lui aussi tout le pays à « se lever » contre le report du scrutin.
L’ex-première ministre Aminata Touré a, quant à elle, fustigé sur les réseaux sociaux une « régression démocratique sans précédent » et appelé « les démocrates et les citoyens [à] se mobiliser pour défendre [les] acquis démocratiques ». Celle qui avait été nommée à la tête du gouvernement par le président Macky Sall avant de passer dans l’opposition a été arrêtée à Dakar par la gendarmerie alors qu’elle participait à la manifestation de protestation contre le report du scrutin, a annoncé à l’AFP le député d’opposition Guy Marius Sagna.
La décision de reporter l’élection présidentielle, dans un contexte de grave crise politique, par le président élu en 2012 et réélu en 2019, a aussi provoqué l’inquiétude à l’étranger. Elle plonge à nouveau dans l’inconnu ce pays considéré comme un îlot de stabilité en Afrique, mais qui a connu depuis 2021 plusieurs épisodes de troubles meurtriers.
La France s’est exprimée dimanche dans un communiqué du ministère des affaires étrangères : « Nous appelons les autorités à lever les incertitudes autour du calendrier électoral pour que les élections puissent se tenir dans le meilleur délai possible et dans le respect des règles de la démocratie sénégalaise. »
L’Union européenne a regretté la « période d’incertitude » qui s’ouvre, la porte-parole du service diplomatique, Nabila Massrali, appelant à la tenue d’élections « dans les meilleurs délais ». Les Etats-Unis, eux aussi, se sont dits « profondément préoccupés » par l’annonce du président Sall, a fait savoir le département d’Etat sur le réseau social X, samedi. « Nous exhortons tous les participants au processus électoral sénégalais à s’engager pacifiquement dans l’effort important visant à fixer rapidement une nouvelle date et les conditions d’une élection libre et équitable », a-t-il déclaré.
Quant à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), elle a également exprimé son « inquiétude » et demandé aux autorités de fixer rapidement une nouvelle date.
Samedi, quelques heures avant l’ouverture officielle de la campagne, le président Sall a annoncé l’abrogation du décret fixant la présidentielle au 25 février. C’est la première fois depuis 1963 qu’une présidentielle au suffrage universel direct est reportée au Sénégal. Le pays n’a jamais connu de coup d’Etat, une rareté sur le continent, alors qu’ils se sont succédé ces dernières années en Afrique de l’Ouest.
Macky Sall a invoqué le conflit qui a éclaté entre le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale, après la validation définitive par la juridiction de vingt candidatures et l’élimination de plusieurs dizaines d’autres.
A l’initiative de Karim Wade, un candidat recalé qui a remis en cause l’intégrité de deux juges constitutionnels et réclamé le report de l’élection, l’Assemblée a approuvé la création d’une commission d’enquête sur les conditions de validation des candidatures.
Contre toute attente, les députés du camp présidentiel ont soutenu la démarche. Elle a provoqué une vive querelle sur la séparation des pouvoirs, mais aussi nourri le soupçon d’un plan du pouvoir pour ajourner la présidentielle et éviter la défaite. Le candidat du camp présidentiel, l’actuel premier ministre, Amadou Ba, est contesté dans son propre camp et fait face à des dissidents.
Au contraire, le candidat antisystème Bassirou Diomaye Faye, autorisé à se présenter par le Conseil constitutionnel bien qu’emprisonné depuis 2023, s’est imposé ces dernières semaines comme un pvainqueur possible, un scénario cauchemardesque pour le camp présidentiel.
Le Sénégal ne peut « se permettre une nouvelle crise » après des troubles meurtriers en mars 2021 et en juin 2023, a dit le président Sall, annonçant « un dialogue national » pour « une élection libre, transparente et inclusive » et réitérant son engagement à ne pas être candidat.
Selon le code électoral, un décret fixant la date d’une nouvelle présidentielle doit être publié au plus tard quatre-vingts jours avant le scrutin, ce qui mènerait à la fin d’avril dans le meilleur des cas, un cas de figure quasi impossible. Le président Sall risque ainsi d’être encore à son poste au-delà de l’échéance de son mandat, le 2 avril.
Le Monde avec AFP
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